
Berceuses partagées : une expérience de médiation culturelle avec la MJC MPT de Tassin-la-Demi-Lune
par Jade Sandretti et Eva Jallat
Introduction
Nous sommes Eva Jallat et Jade Sandretti, musiciennes en formation au CEFEDEM Auvergne Rhône-Alpes. Dans le cadre de notre formation, nous avons souhaité mener un projet de médiation culturelle en direction d’un public parent-enfant, car le lien intergénérationnel nous intéressait particulièrement. Nous voulions proposer une action familiale et toucher des familles qui n’avaient pas forcément une pratique musicale. Les berceuses et comptines nous semblaient être un support idéal, car elles s’inscrivent dans une pratique musicale quotidienne, traditionnelle et populaire. Elles jouent également un rôle fondamental dans le développement émotionnel des bébés. De plus, nous n’avions encore jamais travaillé avec des tout-petits et cette expérience représentait un véritable défi pédagogique pour nous.
Nous avons eu l’opportunité de mener ce projet de médiation culturelle en partenariat avec la MJC MPT de Tassin-la-Demi-Lune. Ce projet, conçu dans le cadre de l’unité d’enseignement « L’enseignant.e, artiste médiateur dans la Cité » (EAMC), nous a permis d’explorer les liens entre musique et transmission intergénérationnelle à travers un cycle d’ateliers autour des berceuses.
Genèse du projet
Dès le départ, notre objectif était clair : proposer un espace de rencontre entre parents et enfants autour du chant et de la création musicale. Nous avons choisi la berceuse comme fil conducteur, à la fois pour sa simplicité, son accessibilité et sa charge émotionnelle forte.
Grâce à nos échanges avec la MJC, nous avons pu affiner notre proposition et mettre en place un cycle de quatre séances réparties entre novembre et janvier, destinées aux enfants de 8 mois à 3 ans et à leurs parents. Cette approche, bien que moins habituelle pour la MJC qui fonctionne davantage avec des stages ponctuels, a été accueillie avec enthousiasme par notre interlocutrice Morgane Attento, coordinatrice culturelle.

Une première affiche a été faite par la MJC-MTP pour communiquer le projet.
Un ancrage territorial fort
Notre projet s’inscrit dans un territoire dynamique et riche en initiatives autour de la petite enfance. Nous avons nous-mêmes contribué à la création de partenariats avec divers acteurs locaux (Maison des Familles, Maison des Métropoles, relais d’assistantes maternelles, etc.), ce qui a permis d’attirer à la MJC des familles qui n’avaient pas l’habitude de la fréquenter. Bien que la MJC dispose d’une équipe de bénévoles pour assurer la communication des stages proposés dans ces structures, nous n’avions initialement pas de visibilité sur les structures démarchées ni sur les lieux investis. Il y a donc eu un enjeu majeur de communication. Nous n’avons pas directement rencontré de professionnels de la petite enfance, mais nous avons pris l’initiative de présenter notre action à la Maison des Métropoles, notamment au service PMI, car cela nous tenait à cœur, ainsi qu’à la médiathèque, qui propose déjà de nombreuses activités pour les tout-petits. Pour cela, nous leur avons donné une brochure décrivant les ateliers proposés. Ce maillage nous a permis de toucher un public varié et d’inscrire notre démarche dans un écosystème existant d’actions en faveur des familles.
La MJC MPT de Tassin-la-Demi-Lune joue un rôle clé dans la vie culturelle locale. Située dans une ville à forte disparité sociale, où le revenu moyen par habitant est de 28 000 euros (plus élevé que la moyenne lyonnaise de 22 000 euros), elle se distingue par son engagement envers un public varié en sa qualité de maison pour tous. Bien que la MJC soit un des seuls accueils jeunes de la commune, le nombre de jeunes fréquentant la structure reste limité. Le territoire est marqué par une segmentation sociale importante, avec des quartiers comme Constellation où les jeunes, souvent peu intégrés aux dynamiques locales, méconnaissent l’existence de la MJC malgré sa proximité. Par ailleurs, les initiatives à destination des jeunes sont rares, alors que l’offre pour la petite enfance est bien plus développée. Ce constat souligne un enjeu majeur de décloisonnement social et une volonté de la MJC de créer une génération plus solidaire en multipliant les actions de terrain, en allant à la rencontre des jeunes dans leur quartier et en leur proposant des projets d’autofinancement pour favoriser leur engagement.
Par ailleurs, le contexte politique de la ville influence fortement les actions de la MJC. La municipalité, historiquement marquée par une réticence à construire des logements sociaux (ayant même conduit à une condamnation en 2016 avec une amende de 600 000 euros et au retrait du droit de délivrer des permis de construire l’année dernière), oriente les dynamiques locales. Bien que la MJC dépende en grande partie des subventions municipales, elle tente d’affirmer une posture de négociation pour garantir l’indépendance et la diversité de ses initiatives.
Cet ancrage territorial nous a également permis de réfléchir à la pérennité de notre action. En favorisant les collaborations avec les acteurs locaux, nous espérons que cette initiative pourra être reconduite ou inspirer d’autres projets similaires à l’avenir.

Cartographie autour de la MJC-MPT, en orange les structures contactées

Communication de l’atelier relayée par la Maison des Familles
Une adaptation progressive : repenser nos attentes et nos objectifs
Le principal ajustement a concerné notre posture : nous avons progressivement abandonné l’idée d’un déroulé pédagogique structuré pour adopter une approche plus intuitive et basée sur l’instant présent. La manière dont nous guidions les séances s’est alors faite en fonction de l’énergie des bébés à l’instant T, de leur niveau d’attention et de leur disponibilité. Plutôt que de suivre un cadre rigide décidé à l’avance, nous avons ajusté nos propositions au fil des réactions et des besoins exprimés sur le moment. Cela à donc modifié notre perception initiale des moments de détente et de relaxation. Nous avions au départ l’intention de structurer les séances autour de l’endormissement et de la relaxation, mais nous avons rapidement réalisé qu’il était impossible d’imposer à des bébés un cadre entièrement axé sur l’apaisement. En arrivant, ils étaient stimulés par l’environnement, l’excitation du lieu, la présence d’autres enfants et les nombreuses distractions visuelles et sonores. Il était donc essentiel de nous adapter à leur énergie et à leur besoin de mouvement. Nous avons constaté qu’en leur permettant d’abord de jouer, de danser et de s’exprimer pleinement, ils étaient ensuite plus disposés à accueillir un moment plus doux, propice aux berceuses et aux câlins.

Salle animation-bar de la MJC-MPT
Concernant le répertoire, nous avons d’abord cherché à partir des berceuses connues des parents et à enrichir leur répertoire. Lors de la première séance, nous avons donc effectué un collectage des berceuses qu’ils connaissaient et de leurs comptines favorites. Dans cette optique, nous avons tenté de leur apprendre une berceuse méconnue, pensant qu’il serait intéressant d’apporter de nouvelles mélodies pour varier leur répertoire. Cependant, nous avons constaté que cet apprentissage était long et fastidieux et qu’il était en réalité impossible pour des bébés d’apprendre une nouvelle berceuse en si peu de temps, que cela créait des temps morts et que les bébés n’avaient pas cette capacité d’attention. De plus, les bébés ne chantaient pas à proprement parler ; ils étaient trop jeunes pour cela. Leur manière d’exprimer la musique passait plutôt par des cris ou d’autres formes de vocalises spontanées.
Face à ce constat, nous avons décidé de modifier notre approche pour les séances suivantes. Plutôt que d’introduire de nouvelles berceuses, nous avons choisi d’enchaîner un grand nombre de berceuses déjà connues des parents et des bébés, sans nous attarder sur chacune. Nous avons également signé certaines des comptines: en plus d’ajouter de la gestuelle, cela rajoutait un langage de communication entre parents et enfants.
L’objectif était de créer un véritable espace musical, un moment de partage et de confiance où tout le monde puisse se sentir à l’aise. En nous concentrant sur des berceuses familières, nous avons permis aux participants de profiter pleinement de l’instant présent sans se soucier d’un quelconque apprentissage, garantissant ainsi l’aspect spontané et chaleureux des séances. De plus, à la fin de chaque chanson, il était important de féliciter et d’applaudir les bébés, renforçant leur engagement et leur participation active dans ce moment musical.
Nous avons dû également ajuster nos attentes en matière de progression et d’engagement des familles. La diversité des configurations parent-enfant (mère seule, père seul, couple, fratries) a influencé la dynamique des séances, et nous avons appris à accueillir chaque nouvelle composition de groupe comme une opportunité plutôt qu’un défi logistique. Il ne s’agissait plus de bâtir une continuité stricte entre les séances, mais plutôt de permettre à chaque rencontre d’exister pleinement pour elle-même.

Le parc instrumental
Apprentissage et remise en question
Cette expérience nous a permis de mieux comprendre le rôle de médiateur culturel, qui ne consiste pas seulement à transmettre un savoir, mais à créer un espace d’échange et d’adaptation constante. Nous avons été amenées à repenser notre posture pédagogique, en nous appuyant davantage sur l’écoute et la flexibilité plutôt que sur un déroulé trop rigide.
Elle nous a aussi montré que la médiation ne se limite pas à la transmission d’un répertoire ou d’une technique musicale : elle passe aussi par la mise en confiance des participants, le respect de leurs rythmes et la valorisation de leur propre patrimoine musical, même s’il ne correspond pas à nos attentes initiales.
Malgré les ajustements nécessaires et les défis rencontrés, nous ressortons enrichies de cette expérience, avec une vision plus nuancée et plus ancrée dans la réalité du terrain. Nous espérons que ces apprentissages nous serviront dans nos futurs projets, et que les familles ayant participé garderont un souvenir agréable et chaleureux de ces moments musicaux partagés.

Communication pour la dernière séance, relayée par la Ville de Tassin. Une coquille sur l’horaire: 10h-11h