
Prendre conscience de son corps, celui des autres, et de ses propres émotions par la musique. Notre expérience d’artiste-médiateur.ice en herbe.
Ze GONG Anaïs JAUDON Fabien PLANQUART
🎵 Quand la musique entre à Odyneo : une rencontre inattendue entre rythme, art et humanité
C’est dans un centre médical d’accueil de jour lyonnais, Odyneo, dans lequel nous trois, artistes en formation au Cefedem, avons décidé de poser nos valises, notre curiosité et notre imagination. Notre mission ? Mener une action de médiation culturelle dans le cadre du projet EAMC (Enseignant Artiste dans la Cité). Notre envie ? Proposer un atelier musical à de jeunes adultes en situation de handicap psychomoteur. Notre certitude ? Aucune. Et c’est là que l’aventure a vraiment commencé.
🎬 Un projet, des doutes… et des portes entrouvertes
Tout a débuté par une idée simple : partager la musique, le rythme et l’improvisation à travers des ateliers inspirés de la méthode O Passo. Une autre idée a ensuite germé dans notre esprit : celle de transformer les improvisations venant des participant.e.s en une véritable pièce électroacoustique.
L’accueil chaleureux d’Odyneo nous a alors donné carte blanche pour tester cela à notre guise. Mais la première rencontre avec l’éducateur référent du centre, a fait en quelque sorte vaciller notre enthousiasme. Il nous a en effet expliqué que certaines activités seraient peut-être plus compliquées à mettre en place que d’autres en fonction des styles de handicaps de chacun.e, par exemple la peinture, l’écriture, la motricité fine pour les percussions corporelles etc. Et aussi que certaines personnes n’étaient pas totalement libres de leurs mouvements, par exemple en fauteuil roulant ou autre.
Nous avons alors eu l’impression que cet entretien nous avait un peu “fermé des portes”. Mais lors d’une discussion, notre formateur du Cefedem nous a lancé un rappel salvateur : « Ne vous limitez pas avant d’avoir essayé. » Puis nous avons essayé. Et nous avons bien fait, car cela a finalement porté ses fruits !
📚 Faire valoir les droits culturels par la médiation
Les droits culturels sont ainsi définis comme « Les droits, libertés et responsabilités pour une personne, seule ou en commun, avec et pour autrui, de choisir et d’exprimer son identité. [Ils impliquent] les capacités d’accéder aux références culturelles, comme à autant de ressources qui sont nécessaires à son processus d’identification »
Nous souhaitions dans un premier temps sortir d’une posture d’animateur.ice, qui proposerait une simple prestation ou encore une activité “spéciale” pour des personnes en situation de handicap. Pour éviter cela, l’idée était de se diriger plutôt vers des ateliers artistiques de médiation, qui offriraient davantage la possibilité à toutes et tous de pouvoir faire valoir leurs droits culturels fondamentaux. En effet, nous ne sommes pas des soignant.e.s mais des artistes, et à ce titre nous sommes là pour, avec les personnes concernées, pouvoir partager un moment à visée artistique. L’expression de l’individu à travers l’art nous paraît être un élément central de cette mission d’artiste-médiateur.ice. L’échange entre personnes qui viennent de milieux différents et ayant vécu des expériences diverses se révèle grâce à cela très riche et porteur de beaucoup de sens.
Nous souhaitions donc avant tout partager avec ces personnes un moment artistique et humain, loin de la logique de simple « occupation ». Ici, pas de recettes toutes faites. L’atelier s’est construit au fil des séances, entre tâtonnements, ajustements et surprises. À chaque rencontre, un peu plus de confiance, de sourires, de musique et de complicité.
🥁 Un rythme, un poème, une étincelle
Au début, nous avions l’impression que chacun.e restait un petit peu dans sa bulle. Annoncer son prénom semblait déjà présenter un réel effort. Mais dès que les instruments sont apparus, les regards se sont éveillés, les mains ont frappé et les oreilles attentives ont écouté. Le rythme est devenu un véritable langage commun.
Une idée originale a ensuite émergé : composer un poème collectif autour des couleurs et l’accompagner de percussions et de guitare. Puis, transformer ce poème en dessins, pour finalement… jouer les dessins ! Une partition graphique spontanée, libre, surprenante.
Un moment fort ? Quand un participant, que l’on nommera Sofiane (le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat), entendant Debussy, s’est écrié : « C’est l’eau ! » ; Ou encore, quand l’un des autres participants, Isaac (idem, le prénom a été modifié pour les mêmes raisons), passionné de rap, a chanté son artiste préféré, cœur grand ouvert, flow impeccable.
🎧 Un enregistrement, des souvenirs
Pour garder une trace de cette expérience, nous avons enregistré les moments d’improvisation, de texte, de musique. Non pas pour produire une œuvre parfaite, mais pour permettre aux participant·es de se percevoir comme créateur·ices de celle-ci. Un geste symbolique, mais fort.
La pièce électroacoustique fût ainsi créée, et nous avons pu à la fin des séances leur présenter les manipulations de sons et de rythmes sur l’ordinateur, ce qui les a aidés à mieux comprendre les mécanismes de création d’une œuvre comme celle-ci.
Suite aux cinq séances réalisées, l’idée était de leur faire écouter le rendu audio final et d’en discuter. Malheureusement pour nous, beaucoup n’y ont pas trouvé un très grand intérêt à l’écoute. Certainement car ils ne reconnaissaient pas ce qu’ils avaient interprété, les sons étant trop mélangés et modifiés sur le montage audio final. Néanmoins, l’aboutissement de cette petite pièce musicale audio semblait nécessaire pour définir un but et clôturer l’aventure ensemble.
🤝 Les limites, les ratés… et les apprentissages
Tout ne fût pas simple. Cette action nous a cependant permis de nous confronter à plusieurs choses dont nous n’avons pas l’habitude dans notre quotidien d’enseignant.e.s. Nous ne connaissions pas les personnes en face de nous, et nous n’avions pas l’habitude de faire des projets avec des personnes porteuses de handicaps. La posture de médiateur.ice que nous devions adopter ne nous était pas non plus familière. Ces deux éléments combinés ont fait que nous avions été un petit peu déstabilisé.e.s par moments. Malgré tout, nous en retirons bien sûr une expérience positive et enrichissante pour notre vie professionnelle future.
Certain.e.s ont eu du mal à trouver du sens dans les propositions. Ulysse, par exemple, a exprimé avec honnêteté qu’il n’avait pas aimé l’atelier, ne sachant jamais vraiment « où il allait ».
Le retour des éducateurs a confirmé ce point : le projet manquait parfois de cadre explicite. Trop de liberté, pas assez de repères. La posture artistique, si elle ouvrait des portes, pouvait aussi perdre certain.e.s en chemin.
✨ Un projet humain, bien avant d’être artistique
Ce projet a avant tout été une opportunité de rencontre et une véritable leçon de vie. Les discussions informelles faites avec les participant.e.s avant et après les séances étaient, de notre point de vue, très précieuses, bien que pas assez nombreuses. Le lien avec eux était à la fois fragile et un peu distant, abstrait. Sans doute est-ce dû au fait qu’ils ne nous connaissaient pas et qu’ils avaient l’habitude de toujours voir et interagir avec les mêmes personnes, que ce soit du côté des patients ou du côté des infirmiers/éducateurs/médecins.
Par exemple, nous ne pouvions pas comprendre tout ce que les participant.e.s exprimaient, et nous ne sommes pas non plus sûre.s qu’ils/elles exprimaient toujours tout ce qu’ils/elles voulaient sans gêne. La présence de soignants tout au long de l’action aurait certainement permis, du moins en partie, de résoudre ces problèmes . Or, aucune personne de référence pour les participant.e.s n’a pu suivre le projet en assistant aux séances, et nous avons fini par ressentir ce manque au fil du temps.
Nous pensons que nous aurions dû prendre le temps (peut-être avec davantage de séances) de donner des consignes plus claires et de laisser le temps aux participant.e.s d’explorer l’objectif musical. Chaque exploration doit être reliée à un objectif final, sinon elle perdra sa motivation, son sens.
🤝 Conclusion
Nous aurions aimé connaître un petit peu plus de choses en amont de l’action sur les participant.e.s et leurs envies, leurs besoins, leurs préférences et leurs connaissances musicales. Et également des aspects pratiques, comme par exemple s’ils se déplacent en fauteuil roulant ou pas, s’ils peuvent utiliser leurs mains, etc. C’est pourquoi le lien avec l’équipe soignante est précieux et même essentiel pour ce genre d’actions.
Néanmoins, nous avons achevé une œuvre électroacoustique audio basée sur les improvisations des participant.e.s (que nous avions enregistrées tout au long des séances et réutilisées ensuite pour le montage final). Nous avons tous.tes appris beaucoup lors de cette action, tant d’un point de vue humain que musical, et le travail en équipe ainsi que les remises en questions qui ont suivi nous ont permis de pouvoir faire évoluer notre vision d’artiste enseignant. Concrètement, pouvoir mettre un objectif clair et compréhensible pour les apprenants, tout en favorisant leur prise de décisions. Être plus à l’écoute et mettre le lien avec les personnes au centre de nos projets. Cette transformation passe également par l’écoute de l’autre, le partage d’idées, la bienveillance et l’adaptation.
Nous remercions chaleureusement tous.tes les participant.es pour leur présence et leur investissement, le personnel du centre Odyneo pour son soutien et pour nous avoir accueilli dans de très bonnes conditions, ainsi que le Cefedem pour nous avoir permis de mener une action de médiation artistique telle que celle-ci.